Auteur, compositeur et interprète, le rappeur Abd al Malik ne s’exprime pas artistiquement que dans la musique. Également réalisateur et écrivain, il a, à son actif, une dizaine de livres. Le dernier en date, « Juliette », consacré à la chanteuse Juliette Gréco, qui faisait partie de son cercle d’amis proches, vient de sortir. Nous l’avons rencontré lors d’une soirée de rentrée littéraire organisée par la Fnac dans le superbe écrin du musée de la Piscine à Roubaix.
Pourquoi avoir eu envie d’écrire ce livre sur Juliette Gréco ?
« Lorsque Juliette est partie, certains de ses proches m’ont tout de suite dit que ce serait bien que j’écrive sur elle mais j’étais dans la sidération, pas du tout dans l’état d’esprit nécessaire pour écrire un livre. Et puis l’année dernière, pour la première fois, je suis retourné à Ramatuelle où elle vivait, sans qu’elle soit là, et j’ai ressenti beaucoup d’émotions en allant dans les différents lieux que nous fréquentions ensemble. J’ai pris le train pour revenir sur Paris et j’ai été saisi d’une émotion, un truc très fort, presque une visitation. En rentrant chez moi, j’ai commencé le livre mais c’est comme si j’étais avec elle, c’était quelque chose presque de l’ordre de l’écriture automatique. Je l’ai écrit en quelques jours, ça ne m’était jamais arrivé auparavant. »
Quel message aviez-vous envie de transmettre dans cette œuvre ?
« Il y avait cette idée de dire qu’aujourd’hui, plus que jamais, on a besoin d’une figure comme elle, qu’elle me manquait personnellement mais aussi à la culture, son rapport à la liberté… Dans le contexte dans lequel on vit, on a besoin de ça. Et puis rendre hommage à Juliette, c’était d’une certain façon rendre hommage à toutes les femmes. C’était aussi dire que l’amour que je lui porte est et sera toujours là. »
Vous partagiez visiblement un goût pour la poésie mais pas seulement au sens littéraire…
« Oui, Juliette poétisait son existence et on se retrouvait bien là-dedans. Sa façon de dialoguer avec les autres, c’était fondamental. La poésie ce n’est pas juste faire rimer des mots, c’est aussi être en harmonie avec le monde, avec les autres, avec soi-même. »
Ce livre s’inscrit-il dans la lignée de celui que vous aviez écrit sur Camus ?
« Oui. Je crois qu’il est important de dire à quel point les absents ont toujours de l’influence sur le réel, il ne faut pas avoir peur de convoquer les absents, ces grandes figures comme Juliette, comme Camus. Ça permet de rappeler qu’on a des modèles, des référents qui peuvent nous aider à devenir les hommes et les femmes que nous sommes. Les gens présents sont bien sûr importants mais les absents peuvent aussi nous porter comme lorsqu’ils étaient vivants. »
Vous connaissiez l’œuvre de Juliette Gréco avant de la rencontrer ?
« Bien sûr. Ma mère avait pour tradition d’écouter de la musique africaine mais tous les dimanches, elle passait de la musique française, de Brel à Brassens, en passant par Ferré et Gréco. Quand j’ai pu rencontrer Juliette et devenir intime avec elle, ça a été magnifique. Parfois, on admire des gens et quand on les rencontre, ce n’est pas ce que l’on imaginait. Juliette Gréco, c’était réellement la muse de Saint-Germain des Prés. »
Dans l’autre sens, elle connaissait votre musique ?
« En fait, tout est parti d’un concert de Juliette sur lequel je suis tombé, un soir en zappant à la télévision alors que j’étais en train de travailler sur mon deuxième album, j’ai entendu l’une de ses interviews et je me suis dit que ce serait trop bien de faire quelque chose ensemble. J’en ai parlé à ma maison de disque et il se trouvait justement qu’une personne la connaissait ; elle a proposé de faire le lien en lui envoyant ma musique. Si elle et son mari n’avaient pas aimé mon travail, je ne sais pas s’ils auraient accepté de me voir. Je crois qu’ils aimaient la poésie et que s’il y avait quelque chose de poétiquement sincère, quelle que soit la forme, ça les touchait. »
Ce livre peut-il avoir un prolongement sous une autre forme artistique ?
« Dans l’un de mes albums, produit par Laurent Garnier, j’avais un titre qui s’appelait « Juliette Gréco ». Là, le prolongement, ce sera un film, un long métrage sur sa vie, sa relation à Miles Davis, que je suis en train de préparer. »
Votre retour dans la musique est-il prévu prochainement ?
« Je travaille sur un projet pour le cinéma et la bande originale du film ce sera mon prochain album mais ce ne sera pas avant 2024 ou 2025. En revanche, j’ai réalisé une série, écrite par ma femme, qui s’appelle « 9.3 BB », qui devrait être bientôt diffusée sur France Télévisions . C’est l’histoire d’une jeune fille qui vient de Seine Saint-Denis, qui découvre le théâtre et c’est le coup de foudre absolu. Elle va convaincre sa bande d’amis de la suivre et on va observer leur cheminement, montrer comment la culture permet de transcender sa condition. »
« Juliette » par Abd al Malik. Editions Robert Laffont. 144 pages. Prix : 18 €.