
Plus le temps passe, moins Émilie Deletrez supporte l’injustice, les bobards des hommes politiques, la duplicité. A tel point qu’elle avait décidé de construire son nouveau spectacle sur le mensonge mais en creusant un peu le sujet, la comédienne et metteuse en scène nordiste s’est aperçue que cet état d’esprit était la conséquence d’une enfance pas toujours facile entre une maman schizophrène et un papa un peu affabulateur.
Dans ses précédentes créations, la jeune femme « se cachait derrière des personnages » pour évoquer des sujets qui la touchait personnellement. « Il a toujours été un peu question de quête de soi. Dans Le journal d’une majorette, par exemple, ça parlait d’une nana issue d’un milieu populaire, qui a envie de briller et en fait c’est un peu aussi mon histoire », confie-t-elle. Un rêve qui, même si elle ne l’avais pas forcément conscientisé à l’époque remonte à sa petite enfance.
« Quand j’avais 5-6 ans, le moment un peu festif de la semaine, c’est quand j’allais au supermarché avec mon père, se souvient-elle. On avait un petit jeu, il cachait une banane dans un rayon, je devais la retrouver et ensuite aller en caisse dire que j’avais perdu mon papa pour qu’il fasse un appel et un jour la caissière m’a fait parler dans le micro, elle est alors devenue un Dieu pour moi, d’où le titre du spectacle, et j’ai pris à ce moment-là goût à parler derrière le micro ».
Pendant une dizaine d’années, son auditoire fut avant tout celui des élèves des classes où elle officiait comme institutrice spécialisée mais en parallèle, elle a découvert le théâtre d’improvisation, s’est mise à jouer de plus en plus et à attirer pas mal de monde, au point d’être un jour prête à faire le grand saut et à quitter son métier d’enseignante pour se consacrer pleinement à la scène. « J’ai eu la chance d’avoir un professeur de théâtre qui m’a dit un jour de me lancer et d’arrêter d’attendre que les autres viennent me chercher. Il avait raison, dans la vie, il faut impulser les choses. » Aujourd’hui c’est d’ailleurs, elle, qui met le pied à l’étrier à de nombreux jeunes artistes, certains totalement débutants lors de différents cours ou ateliers, d’autres plus confirmés mais encore en développement, en mettant en scène leurs spectacles.
Construction collective
Plus mature, plus confiante en ses capacités, Émilie Deletrez a, elle-même, franchi un cap supplémentaire avec ce spectacle : « Plus j’avançais dans l’écriture, plus je me rendais compte que j’étais complètement en train de parler moi. Je me suis dit qu’à 45 ans, il fallait assumer et effectuer ce virage artistique. Je voulais montrer que je n’étais pas qu’une humoriste. Dans ce spectacle, il y a bien sûr des moments drôles car ça reste mon ADN mais il y a aussi beaucoup d’émotions. C’est en fait un récit de vie, avec évidemment des choses exacerbées, et le souhait de passer le message que d’une faiblesse on peut faire une force. Ce qui m’intéressait c’était de raconter une histoire personnelle dans laquelle chacun peut se reconnaître. Ce spectacle a été quelque part ma psychothérapie, il m’a fait grandir. »
Un seule en scène qu’elle a toutefois construit collectivement, faisant appel à une co-autrice Santine Munoz et confiant la mise en scène à Marie Liagre. « Ca évitait de tomber dans le nombrilisme et j’avais besoin de regards exigeants », précise-t-elle.
Bercée durant sa jeunesse par Zouk puis Elie Kakou, admirative de comédiennes comme Isabelle Nanty et Yolande Moreau « populaires sans être populistes », Émilie Deletrez se plaît à varier les plaisirs : « Je ne pourrais pas faire que du seule en scène comme je ne pourrais pas faire uniquement du théâtre collectif, j’ai besoin de nager entre les deux, de me prouver à la fois que je peux faire des choses seule mais aussi que j’ai besoin des autres. »
« Dieu est une caissière », un spectacle d’Émilie Deletrez, ce mardi 13 mai (20 h) au théâtre de la Rianderie à Marcq-en-Baroeul. Prix : 15 € (10 € pour les moins de 14 ans, retraités, chômeurs et intermittents).
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