
Depuis dix ans, Waly Dia a pris l’habitude d’écrire ses textes avec son complice Mickaël Quiroga mais, depuis son précédent spectacle, les deux hommes s’appuient également sur des dizaines de contributeurs anonymes. « On part en tournée d’improvisation sur une trentaine de dates, ce sont en quelque sorte des spectacles-débats où j’échange avec les gens sur leurs préoccupations du moment et je me rends compte en traversant la France qu’elles sont les mêmes un peu partout. »
Cette manière de procéder permet non seulement à l’artiste de s’immerger dans le quotidien de tout un chacun mais aussi de sortir de sa zone de confort. « Quand tu écris chez toi, il n’y a pas ce sentiment d’urgence alors que lorsque tu es sur scène, il faut que tu sois drôle, là, maintenant, tout de suite. Ca déclenche un mécanisme dans ton cerveau pour trouver quelque chose à dire. Il se met en ordre de bataille, en mode survie, pour aller chercher la vanne et après tu peux la retravailler un peu chez toi. C’est plus productif. »
Pour les premières dates de sa tournée de préparation, Waly Dia prépare bien sûr une base d’une vingtaine de minutes. La suite est totalement expérimentale : « C’est le jeu de la création, les gens savent qu’on va construire le spectacle ensemble. J’adore cette phase, je laisse beaucoup de place aux gens pour parler, je pense que ça leur plaît de se sentir impliqués, investis. Je prends des notes sur scène, je ramène tout chez moi et j’essaie de traiter ça ensuite à ma façon, mais j’écris aussi des choses dont je veux parler sans passer par le prisme du public. »
La difficulté peut être de tomber sur des sujets complexes ou qu’il ne maîtrise pas mais ça n’est absolument pas une inquiétude à ses yeux : « Je vais vous donner un exemple : on m’avait parlé un jour de la fongibilité asymétrique. Quand tu entends ça, ton cerveau fait quatre tours et te dit « Bon, laisse tomber, on ne va rien en faire ». En fait, c’est un principe de loi qui dit que dans le domaine public, on n’engage pas des gens et qu’on préfère prendre des consultants extérieurs, les fameux cabinets de conseil. Le principe est donc de ne pas former des gens à acquérir ce savoir-faire mais d’aller dépenser de l’argent. Ça m’a ultra intéressé. J’ai fait une chronique là-dessus l’an passé et, en fait, tu découvres énormément de choses parce que dans les salles, il y a des experts dans de nombreux domaines qui ont des choses à t’apprendre. C’est une chance de les rencontrer et de découvrir leur savoir-faire car dans la vie c’est impossible de tout apprendre. »
Gare à ceux qui chercheraient à piéger l’humoriste : « Des gens essaient de me titiller mais quand je ne sais pas, je les oblige à m’expliquer, précise-t-il. Ce n’est pas juste tu m’as donné un sujet et je me débrouille. Il faut m’éclairer et je vais réagir à ce que tu me dis. »
Son constat après auditions de ses co-auteurs d’un soir ? « Les sujets sont très variés, les causes peuvent être différentes mais souvent l’objectif est commun . Chacun aspire à vivre dignement. Il n’y a personne qui a envie de souffrir, précise-t-il. Il nous reste donc à trouver ce qui nous empêche de le faire et le fil rouge du spectacle c’est : pourquoi, alors qu’on a très bien compris qu’on était dominés par une toute petite portion de la population qui nous dicte des règles auxquelles eux-mêmes, ne sont pas assujettis, comment ça se fait qu’en sachant tout ça, on n’arrive pas à faire basculer les choses ? J’essaie de décrypter les mécanismes de division qui font qu’on déteste plus son voisin que le milliardaire qui te fout son discours médiatique dans la gueule. C’est le jeu qu’il mène sur nous donc autant avoir des clés pour résister. Quand tu as un travail, que tu pars de chez toi de 8 h à 19 h, tu n’as pas le temps de te renseigner sur tout, moi c’est mon boulot de le faire, de chercher, sourcer, croiser et ensuite vulgariser pour que tout le monde puisse le comprendre. »
L’actualité l’oblige-t-il à faire évoluer constamment son spectacle ? « Un peu parce qu’il y a des choses brûlantes dont j’ai envie de parler mais le fond ne bouge pas car ce qui m’intéresse ce sont les mécanismes. En fait, les noms changent mais les phénomènes restent les mêmes. On prend l’exemple de Le Pen mais deux mois avant c’était Sarkozy et encore avant c’était Fillon. Peu importe les personnes, le vrai sujet c’est l’impunité politique : comment se fait-il que ces gens soient au-dessus des lois. »
Waly Dia joue son spectacle « Une heure à tuer », ce jeudi 15 mai (20 h) au théâtre Sébastopol de Lille.