Première grande star internationale, première artiste à signer des autographes, Sarah Bernhardt fut l’une des plus grandes comédiennes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, une intime des grands écrivains de l’époque (Hugo, Zola, De Rostand…), une femme au caractère bien trempé, volage bien que folle amoureuse de Lucien Guitry, le père de Sacha. Une femme brillante, pleine de démesure qui méritait bien qu’un film s’attarde à certains aspects de sa vie. Entretien avec Guillaume Nicloux (La religieuse, Valley of Love, Les confins du monde), réalisateur de « Sarah Bernhardt, la divine », en salle depuis mercredi…
Guillaume, pourquoi avoir eu envie de vous intéresser à Sarah Bernhardt ?
«J’ai été sensibilisé au personnage par la scénariste Nathalie Leuthreau qui, peu à peu, a suscité en moi un désir de l’accompagner dans sa découverte et dans toute la documentation qu’elle a pu rassembler. J’ai été passionné par la ligne de vie de l’artiste, par ses engagements, sa singularité, cette avance qu’elle avait sur son temps, la façon dont elle a pu vaincre par la résilience toutes ses épreuves d’enfance, d’adolescence et mener une carrière avec autant de détermination, d’abnégation, de passion. »
Vous avez découvert une femme de convictions avec un caractère bien affirmé…
« J’ai aimé la façon dont elle s’engageait sur tous les fronts, pas simplement artistique mais aussi amoureux et amical. Elle était sans couleur politique mais engagée dans ses croyances et dans ses combats comme la sauvegarde des animaux. Je me suis laissé complètement happé par ce parcours de vie et l’aura qu’elle a pu susciter au-delà des frontières puisque ça a été la première artiste à s’exporter dans le monde. Elle n’a pas eu peur de partir deux ans en tournée, à provoquer émeutes et évanouissements alors que les gens ne comprenaient même pas ce qu’elle jouait. C’est impensable aujourd’hui. C’est vraiment ça, dans toute sa démesure, qui m’a interpellé chez elle. »
Vous n’avez pas opté pour un biopic traditionnel mais vous avez choisi de cibler certains moments forts de sa vie. Qu’est-ce qui a guidé cette décision ?
« On a en effet pris l’option de ne pas s’engager dans un biopic traditionnel de la naissance à son décès mais au contraire d’ancrer deux lignes de récits sur des événements très marquants qui sont son amputation de la jambe et une journée de célébration de son talent qui lui avait été consacrée en présence de tous ses amis. C’était une façon de rendre riches ces deux périodes et de ne pas survoler une totalité de vie, ce qui aurait été plus superficiel. Ça semblait finalement très sain de s’intéresser à sa vie plus qu’à sa carrière, même si sa vie n’était pas autrement qu’impliquée dans sa carrière. C’était une porosité permanente, une connexion, une interaction continue. »
La documentation à son sujet était-elle riche ?
« Oui mais très diversifiée dans la mesure où en dehors de ses propres mémoires qui sont comme elle le dit dans le film, à la fois fantasmées et mensongères, on est confronté à des récits de personnes qui l’ont côtoyée, puis ensuite d’écrivains, d’auteurs qui se sont inspirés d’une masse de documents qui appartenaient aux journaux, à des récits oraux. Il y un socle, mais qui n’est pas vérifiable parce que c’est une époque où les images n’existaient pas, les enregistrements non plus, donc il faut faire confiance à des recoupements. Certains sont évidents, très factuels, on peut se reposer à coup sûr dessus et d’autres sont plus flottants. Parmi toute cette masse, on essaie de reconstruire et d’installer le sentiment de vérité, beaucoup plus qu’une vérité historique. »
Pourquoi avoir choisi Sandrine Kiberlain pour incarner Sarah Bernhardt ?
« Il nous semblait évident que c’était un rôle dans lequel elle allait exceller parce qu’elle a une capacité à livrer une palette d’une rare ampleur qui peut aller du drame et de la comédie jusqu’à la loufoquerie. C’est très rare les acteurs et actrices qui peuvent avoir un éventail aussi ample et être aussi touchants dans toutes ces palettes d’émotions. Et pour elle, une actrice qui joue une actrice, il y a quelque chose de la mise en abîme qui est sans doute un questionnement très stimulant. »
Quand on fait ce genre de film, est-ce qu’il y a à côté devoir de mémoire, une volonté de faire découvrir aux nouvelles générations, la première grande star, la première à signer des autographes ?
« Ce n’était pas l’ambition première mais on est content de s’apercevoir que les gens réagissent et redécouvrent, qu’ils s’aperçoivent que même si le mot féminisme n’était pas encore utilisé à l’époque, elle était sans le savoir une représentante d’une forme d’affranchissement, d’une liberté qu’elle allait s’autoriser au nom des femmes. Elles étaient rares à l’époque à refuser le régime patriarcal, cette hégémonie masculine. Elle aurait pu se griller complètement auprès de beaucoup de directeurs de théâtre. C’est quelqu’un de très obstiné avec un talent exceptionnel. C’est pour ça qu’elle parvenait à rassembler les foules et à émouvoir jusqu’au dernier rang. »
« Sarah Bernhardt, la divine » de Guillaume Nicloux, avec Sandrine Kimberlain, Laurent Lafitte et Amira Casar. En salle depuis ce mercredi 18 décembre.
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